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Extrait Impressions 12 "Côte et terre" de Luc Frédefon


Et qui travaillait à la forge de Lège ?


Depuis plusieurs numéros Côte et Terre veut nous démontrer l’importance d’une forge fonderie à Lège, dont il ne reste aujourd’hui qu’un nom de lotissement.

Pourtant, dans les professions recensées parmi la population de Lège, on ne voit guère d’ouvriers de fonderie et l’on ne sache pas qu’entre 1846 et 1860, période certaine où elle a fonctionné, la métallurgie ainsi décrite ne parait pas avoir transformé la région en centre industriel : ça se saurait !

On peut se poser la question de savoir d’où le maître de forges pouvait tirer ses ouvriers dans une localité complètement écartée, au 19ème siècle, de toute tradition de fabrique ?

Pages 22 et 23 du n° 11 de Côte et Terre, votre article reproduit la lettre de M. Gignoux au préfet de la Gironde. Vous précisez, d’une part, qu’il fallait une autorisation préfectorale pour ce genre d’établissement, d’autre part que le créateur avait dû anticiper l’autorisation et lancer les travaux avant la demande. Elle est pourtant publiée in extenso sur l’affiche officielle qui sera apposée à Bordeaux, Biganos et Lège...



C’est dans cette lettre que l’industriel fixe lui-même ses objectifs, son prévisionnel en quelque sorte ...

Ainsi, pour obtenir la fonte et le fer, l’intéressé annonce deux millions cinq cents mille kilogrammes de minerai, à récolter dans les communes avoisinantes et particulièrement au Porge. Comment va-t-on transporter ces 2 500 tonnes annuelles d’alios ou de « garluches » ? A raison d’environ trois cents jours de travail par an, l’industrie aura besoin de huit tonnes par jour. Un attelage de mules peut-il en véhiculer une ou deux tonnes ?

Deux tonnes semblent un chargement un peu lourd, dans des chariots roulant sur le sable, avec des passages souvent inondés l’hiver. N’avez-vous pas écrit que la route de Bordeaux à Arès ne fut empierrée qu’en 1876 ? Mais retenons ce poids de deux tonnes. Nous aurions donc besoin d’au moins deux attelages qui feraient chacun deux voyages par jour, le gisement peut se trouver éloigné de huit ou dix kilomètres de la fonderie...

Qui récolte le minerai ? Pour alimenter huit tonnes par jour, pensez-vous qu’un homme puisse en faire deux tonnes ? Ce n’est pas la mine, les bancs d’alios sont à fleur de terre, faut-il encore les casser, en faire des blocs manipulables, les stocker. Si l’on retient ce tonnage par homme, il faut donc quatre ouvriers au minimum...

Le combustible aussi a été chiffré par le promoteur, M. Gignoux : dix mille stères par an !

Nous savons que les semis de pins ont commencé assez tôt dans le secteur (avant le Second Empire). Plusieurs dunes, sur des cartes de 1825, portent les dates de semis : 1821 – 1822...

Lorsque le maître de forges écrit au préfet en 1846, il fait état du nouveau produit généré par ces semis de pins : vingt ans après, c’est l’éclaircissage. Qui le pratique ? Les propriétaires, les communes, le service des eaux et forêts ? M. Gignoux va-t-il acquérir les stères en dépôt dans les coupes ou envoyer aussi des ouvriers en forêt pour préparer la collecte ?



De toutes manières, il faut là aussi des attelages, en plus des précédents !

Deux stères par charrettes ? Il en faudrait à peu près trente trois par jour si l’on reprend les trois cents jours d’activité et les dix mille stères par an, soit quinze voyages ! Le bois est moins lourd que la « garluche », misons sur de grands chariots contenant quatre stères pour avoir seulement huit voyages...

Suivant les distances des lieux de coupe, le déplacement seul s’effectuant avec une moyenne de quatre kilomètres à l’heure, il vaut mieux prévoir quatre attelages !

Ouvriers forestiers, récolteurs de minerai, muletiers, c’est sans doute une vingtaine de travailleurs qui seront mobilisés à ces tâches. Ils peuvent être pris sur place, leur spécialité est déjà utilisée...

Pour la fonderie elle-même, il s’agit d’alimenter les fourneaux, d’entretenir les canaux d’arrivée et de « fuite » d’eau, de surveiller le fonctionnement des divers mécanismes entraînant soufflerie, martinet, marteau pilon, d’intervenir aux divers stades de fabrication avec des machines encore sommaires, non automatisées (!), de trier et répartir les produits finis de un million de kilogrammes de fonte et deux cent mille kilogrammes de fer...

Cet ensemble de main d’œuvre réclame des ouvriers plus spécialisés, entraînés, connaissant le métier. D’où vient-elle ? M. Gignoux a-t-il fait appel à des travailleurs « immigrés », landais par exemple, puisque des forges existent déjà dans ce département ?

En 1846, dans une commune de Lège qui a peu d’habitants, une telle arrivée a dû marquer les esprits. Sont-ils repartis quinze ans plus tard ? Ce sont-ils reconvertis dans une autre industrie, telle celle créée par M. Gorry en 1864, usine de résine et de térébenthine ?

Quelques descendants auraient-ils des traces ?

Nous aimerions le savoir...



Mélanges...


Il faut nous replonger dans les cartons des Archives départementales...


Lorsque deux évènements se rencontrent, lorsque deux entreprises s’opposent sur un point, les divers documents peuvent se retrouver dans des liasses et dossiers différents. Il serait d’ailleurs très difficile de les regrouper pour ceux qui les ont réunis et conservés. C’est alors la tâche des « chercheurs » de croiser les sources...

Ainsi de Javal et Gignoux, chacun entrepreneur, l’un propriétaire du Domaine d’Arès et de son château, l’autre maître de forges à Biganos qui lance une autre affaire à Lège... Nous avons largement présenté ces deux personnages, et leurs réalisations locales au milieu du 19ème siècle, dans de précédents numéros de Côte et Terre...

Nos recherches qui se poursuivent découvrent des compléments sous d’autres références. On peut comprendre que les correspondances pour une prise d’eau de Javal soient dans un dossier, que celles traitant d’une autorisation d’établissement de fonderies de Gignoux soit dans un autre. Alors que chacun puise l’eau dans le canal des étangs, des pièces vont se retrouver dans les projets d’assèchement sous une classification différente. Ainsi qu’un plan dressé lors d’un procès-verbal dans une autre liasse...

On a vu que le capitaine Allègre, ancien propriétaire du château d’Arès, avait dès les années 1835 bâti des associations, établi des projets, fait dessiner des plans pour un vrai canal navigable d’Arès jusqu’à la Gironde, à travers les étangs du Médoc et les divers courants qui déversaient le trop plein d’eau. Avant encore, un préfet de Gironde, le baron d’Haussez fit canaliser vers Lège une partie de la « rivière de Lacanau ». Ainsi, un plan de 1825, pour ce chantier particulier, se trouve parmi des projets et des plans de travaux postérieurs en 1855...




Des éléments complémentaires sur la fonderie...


Le plan du 14 juin 1849, pour un procès-verbal entre Javal et Gignoux sur diverses prises d’eau dans le canal, a déjà été publié dans Côte et Terre (voir n° 11 entre autres).

L’ingénieur ordinaire (Plantier ?) s’est rendu sur les lieux le 21 mai, écrit son rapport sur la demande d’eau de M. Javal et l’adresse à l’ingénieur en chef le 14 juin avec le plan cité...

Cette visite des lieux, avec les deux parties présentes ou représentées, apporte  des éléments et des précisions à la fois sur le domaine d’Arès que sur la fonderie de Lège.


Il est résulté des explications du fondé de pouvoir de M. Javal que son intention était de faire sa prise d’eau en amont de celle qu’a déjà établie M. Gignoux pour sa forge...


Le décor est ainsi planté, avec le mot « déjà » qui anticipe 1849...

Une fois écartées les objections éventuelles sur les propriétaires des terrains traversés qui ont donné leur accord sous réserve d’un contre fossé de sécurité, pour éviter les débordements, et sur le fait que M. Javal accepte de « doubler » le canal de fuite de la forge pour ne pas en gêner l’évacuation, il reste l’opposition de M. Gignoux à la prise d’eau en amont qui, d’après lui, diminuerait de 0,10 mètre seconde le volume d’eau arrivant à son usine. Il demande donc, en compensation, que Javal cède du terrain pour prolonger le canal de fuite vers le Bassin d’Arcachon (à travers les terres du domaine d’Arès), et non jusqu’au ruisseau seulement de la Machinotte, de plus assortie d’une contre partie financière. Ces mesures permettant, d’une part grâce au creusement, d’augmenter la hauteur de chute de un mètre, d’autre part de compenser les dépenses entraînés par ces nouveaux travaux...



C’est ainsi que le procès-verbal nous donne quelque aperçu sur la puissance de la forge qui n’atteint pas, à cette époque, ce qu’en espérait son fondateur.

L’ingénieur a même calculé que l’eau prise en amont par M. Javal ne diminuerait pas même d’un demi cheval la capacité de l’usine, alors que le nouveau creusement, en augmentant la chute, apporterait un mieux équivalent à douze chevaux...

D’autant que l’estuaire de la Machinotte (ancien riou d’Ignac), quoique en direct sur le Bassin d’après le plan joint, est déjà encombré des sables drainés par le canal des étangs à son estuaire voisin du ruisseau, diminuant l’évacuation...

La phrase : En outre les bateaux pourraient à haute mer remonter jusqu’à son usine, ce qui ne peut avoir lieu actuellement... est intéressante, quoique difficile à comprendre aujourd’hui si ce canal recreusé étant celui de fuite c’est le lit du ruisseau qui serait approfondi jusqu’au Bassin, non ce que l’on appelle aujourd’hui « le canal » ! Devant le plan de 1849, comparé à la situation à ce jour, nous avons supposé le détournement postérieur du ruisseau lors de la création des réservoirs du domaine d’Arès, le « château » se servant de l’ancien lit du « riou » pour y créer des bassins ou des amenées d’eau... A notre époque on sait que la Machinotte se jette dans le canal, en amont même de la passerelle en fer... Ces travaux auraient-ils pu faire disparaître, avec en plus la sédimentation naturelle de la « rivière de Lacanau », toute trace du « port d’Ignac », recensé au 18ème siècle... C’est le « Mystère d’Ignac » !

Autre mention particulièrement intéressante de ce procès-verbal et qui complète nos articles précédents...

M. Gignoux se trouve dans une position tout à fait irrégulière. Son usine n’est pas autorisée, et il a établi sa prise d’eau en contravention, malgré les observations que j’ai pu lui faire...



Et comme si la phrase ne suffisait pas, le rapporteur ajoute...

Il est douteux en outre qu’il puisse obtenir une autorisation définitive. Il est en effet fortement question d’améliorer et de prolonger le ruisseau ou canal des étangs de manière à le rendre flottable et à dessécher les marais du Porge et de Lacanau.

Le procès-verbal se poursuit par la description de projets complémentaires en cours d’étude et prend position assez nettement contre la fonderie dont l’usine ne pourrait donc marcher régulièrement que pendant l’hiver (en raison du manque d’eau l’été ?).

Nous avons donc eu raison de dire que la conservation de l’usine de M. Gignoux était très incertaine. Il resterait au contraire, dans tous les cas, toujours assez d’eau pour les irrigations de M. Javal.

On ressent, à la lecture du rapport, qu’il y a d’emblée un a priori plus favorable à la mise en valeur de la terre qu’au développement de l’industrialisation...

Toutefois, dans le balancement du compte-rendu de la confrontation entre les parties en cause, l’ingénieur ordinaire reconnaît au maître de forges l’antériorité de la demande...

Son usine est en outre d’une utilité plus générale pour la contrée. Elle doit employer en effet un assez grand nombre d’ouvriers et offrir un débouché aux bois des semis des Dunes, la concession d’eau que demande M. Javal ne doit au contraire servir que pour sa propriété.

L’avantage parait alors passer dans le camp de Gignoux, mais l’ingénieur ordinaire rééquilibre la balance en argumentant sur l’exemple de l’irrigation des terrains du domaine d’Arès pour d’autres propriétaires locaux !

Dans sa volonté de concilier les thèses de chacun, le rapporteur propose alors que M. Javal se raccorde à la prise d’eau de l’usine, évitant ainsi une amenée en amont et les travaux y afférents (le contournement d’une dune comme indiqué par le croquis).



Il devrait accepter par contre, à la fois la traversée de ses terres pour le prolongement du canal de fuite, avec un creusement à ses frais pour le débouché souhaité jusqu’au Bassin...

L’ingénieur note de ces travaux un avantage complémentaire : dessécher les marais d’Ignac indiqués sur le plan... Effectivement l’illustration accompagnant le procès-verbal dessine de larges emplacements inondables tout autour du riou (actuellement vers le chemin des Abberts, le petit pont sur la Machinotte, les deux étangs visibles derrière le grillage depuis le chemin des prairies qui rejoint le canal et la zone des prés-salés).

Le rapporteur fait état de l’avis d’un Ingénieur en chef des Mines (preuve qu’il reste encore des sources dans d’autres archives !)...

...que pour son établissement qui devait se composer d’un haut-fourneau, de deux affineries, d’un marteau et d’un martinet il lui fallait 25 chevaux de force utile ou environ 40 chevaux de force brute ce qui équivalait à un volume d’eau de 1,50 mètre seconde tombant de 2 mètres...

Or, précise le rapporteur de 1849...

...le débit du ruisseau des étangs, qui est de 10 m/s dans les eaux moyennes et va jusqu’à 40 m/s dans les crues, se réduit à l’étiage à 0,90 m/s.

Nous arrivons alors aux difficultés relatées dans un précédent article : l’usine doit s’arrêter lors des basses eaux ou ce maître de forges sera obligé d’établir un barrage sur le ruisseau pour en amener tout le produit à son usine.

La prise d’eau de M. Javal fut autorisée sous certaines conditions. On a vu, dans le texte de 1959 écrit par des enseignants retraités, que l’eau dérivée fut plus tard amenée jusqu’à la garenne du château d’Arès... On peut comprendre la préférence accordée au nouveau châtelain quand on trouve dans le même dossier une lettre du 14 janvier 1848, adressée au préfet, et signée « Le Pair de France, ministre des Travaux Publics » !



Quelques regards vers ailleurs...


Quoique une descendante de la famille Javal note l’arrivée de son grand père à Arès de l’année 1848 (Louise Weiss, voir page 29 du n° 11 de Côte et Terre), l’acquisition du Domaine daterait de 1847 et l’intervention du ministre en faveur du banquier, de janvier 1848, le confirme... Sinon, il faut alors penser à une erreur de date du ministre, et rectifier en 1849 ?

La tradition locale n’était pas en faveur des fonderies, le barrage que le maître de forges dut établir sur le canal pour avoir assez d’eau lors de l’étiage (plus bas niveau des eaux) lui valut un procès verbal, quelques temps après, en 1856 (voir page 27 du même numéro)...

Pour ceux qui s’étonneraient d’une forge fonderie à Lège, en 1846 et les années suivantes, nous les invitons à consulter, par exemple, le tome 48 des Archives de la Gironde (lisible à la Bibliothèque municipale de Bordeaux, en accès libre) dans lequel le Document n° 1 s’étale sur 139 pages ! Il s’agit de documents statistiques sur la généralité de Bordeaux au 18ème siècle, pour la période 1730-1732 (plus d’un siècle avant l’installation de M. Gignoux !).

Le lecteur curieux se rendra compte de l’importance des forges et de l’environnement spécialisé à une époque que l’on ne nomme pas encore ère industrielle !


Ainsi dans les environs de Sarlat...


Forges – Il y en a six dans cette Subdélégation qui employent les bois taillis des environs, ce qui commence à le faire devenir plus rare et plus cher.

Charbon – Se fait du bois du païs aux environs des forges.

Mines de fer – Il y en a un nombre suffisant pour les forges.



Pour Périgueux, ces statistiques donnent les chiffres de trente sept autour de la ville, et vingt quatre autour de Nontron, quoique le rapporteur signale sept abandons à Périgueux

Par la négligence des propriétaires ou par la cherté du bois nécessaire aux forges...

Il y en a peu qui puissent travailler toute l’année, n’ayant d’eau que ce temps-là...

L’étiage dans ces régions est, comme pour le canal de Lège, trop bas en période sèche pour offrir suffisamment de force motrice...

D’autres chiffres cités sont particulièrement éloquents, par exemple pour la subdélégation de Nontron...

Il y a cinq grosses forges à fourneaux où se fondent les mines ; on y fond chaque année sept cent milliers en aguse qui se transportent dans les forges voisines pour estre convertis en fer dur et mol. Cinq forges employent chaque année 400 hommes, soit à tirer la mine, soit à la laver, soit à la transporter dans les forges, soit à voiturer, et sont payez à 8 s. par jour...

Il est vrai qu’il existe dans ces régions, et dans le Limousin proche, des mines de fer dont le minerai devait être beaucoup plus riche que l’alios du Porge !

Comme élément de comparaison pour les huit sous par jour, rétribution notée pour l’ouvrier des forges, le même rapporteur, décrivant les travaux d’un four à goudron, note qu’un sac de charbon de bois se vendait quinze sous pièce...

Quant au savoir-faire des ouvriers, si 400 hommes étaient employés autour de Nontron, il n’est pas impossible qu’un siècle après certains travailleurs de Dordogne, héritiers de pratiques antérieures, aient pu émigrer vers le bassin d’Arcachon ! Ou de plus près, le rédacteur du même  document signale aussi à Fargues une forge qui produisait...

...quantités de contre-feux, de pots et de chaudières. Le fer vient des montagnes de la haute Guienne... (Les contre-feux seraient des plaques de cheminée, telles qu’on les nomme aujourd’hui.)




La fin de la forge de Lège


Dans le classement des Archives de la Gironde il existe une vaste série qui regroupe toutes les demandes de travaux tels que curage de crastes, édifications de lavoirs, moulins, usines, ponts, travaux hydrauliques divers, soumis à autorisation de l’administration. De l’importance de l’eau, déjà, à une époque où elle demeurait primordiale pour la force motrice.

Les sous-dossiers sont classés par le nom des ruisseaux et par le nom des communes concernées. La priorité étant donnée au cours d’eau qui peut en effet sinuer sur plusieurs communes.

Sous la référence SP 761, parmi de nombreuses chemises l’une comporte un titre « Service hydraulique – Chenal des Etangs – Moulin de M. Gignoux ».

Là encore on peut retrouver diverses correspondances mais aussi à nouveau des plans en couleurs relevant la situation et le voisinage, les croquis des appareils et des bâtiments à installer, les vannes et déversoirs...

Si la demande initiale ne se trouve pas dans ce dossier, le premier rapport du 28 mai 1859 qui en fait état reconnaît « que l’on pouvait y donner suite » et propose en conséquence « qu’elle soit soumise à la première enquête prescrite par la circulaire ministérielle du 23 octobre 1851 » (signé Chambrelent).

L’affaire ne traînera pas. L’enquête n° 1 est ouverte pour vingt jours du 7 au 26 juin à la mairie de Lège. Quoique décalée, elle se tiendra effectivement du 10 au 29 juin et sera signée le 30 juin 1859 par le maire Despujols, qui se montre très favorable au projet, et recommande, pour diverses raisons, de ne pas tenir compte des avis contraires ! Pour une histoire d’eau, on n’est pas loin du « lavage de linge sale hors famille » !



C’est que, par contre, les textes et remarques récoltés par écrit lors de l’enquête sont toutes très critiques, et argumentés, contre le projet ! On y trouve les noms et signatures de Gassian aîné, Lalesque en tant que régisseur du banquier Léopold Javal, Gorry propriétaire voisin, et un meunier Téchoueyres (que le maire n’oublie pas de taxer de jalousie, parce que l’administration venait de lui refuser l’autorisation d’un moulin !).


Des acteurs qui se retrouvent...

Une rencontre va réunir quelques intervenants déjà connus, pour les lecteurs habituels de notre revue Côte et Terre impressions, comme pour les fidèles de l’histoire locale...

Le 13 août 1859, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Chambrelent dresse un Procès-Verbal de visite des lieux à l’occasion de ce nouveau et ultime projet de M. Gignoux, maître de forges à Lège, pour la création d’un moulin à grains...

Les personnes présentes sont : M. le Maire, MM. Gignoux (Gustave), Gassian (Jean), Gorry, Lalesque et... (voici quelqu’un qui apparaît là, en 1859, et dont nous avons longuement parlé dans des numéros précédents pour l’inauguration du canal et les discours de 1864) Clerc, « concessionnaire des dessèchements des marais du littoral et fermier de la pêche dans les eaux claires des Etangs », comme noté par Chambrelent...

Il faut cadrer le problème, éviter les imprécisions...

Le procès-verbal de visite fait état d’un repère provisoire « le seuil de la porte située sur la façade sud de la maison ». Car il ne s’agit pas seulement d’un atelier, d’une industrie qui se trouve au bord du canal des étangs, mais aussi d’une habitation, dans un domaine qui comprend en plus diverses plantations d’agrément (suivant un croquis colorié dans le dossier, avec jardin, maison de maître et allée d’arbre aboutissant sur le plan à une voie nommée « chemin des dunes à Ignac »).



Des restrictions au projet...

Chambrelent, en homme expérimenté comme ingénieur et propriétaire lui aussi de landes qu’il met en valeur, saisit très vite les objections et propose des solutions.

Si M. Gignoux demande à élever la retenue d’eau de son moulin à cinquante cinq centimètres au dessous du dit repère de la marche c’est qu’il a déjà atteint ce niveau pour le bief de la forge sans porter atteinte au domaine attenant.

Mais Gassian et Javal (par son représentant) craignent pour leurs terrains et l’ingénieur « négocie » quinze centimètres de sécurité, faisant accepter à Gignoux l’abaissement du niveau à moins 0 ,70 mètre (soixante dix centimètres écrit-il en toutes lettres !).

Quant au Maire de la commune, favorable au principe du moulin depuis la première enquête, et sans doute à Gignoux comme employeur local, il veut toutefois défendre son « chemin d’Ignac aux Dunes ». Pour éviter inondation possible, franchissement d’un fossé, il obtient que la dérivation du moulin « rentre » dans le canal à cinquante ou soixante mètres en amont de ce chemin. M. Gignoux est d’accord.

Reste M. Clerc (dont les charges de concessionnaire et fermier sont à nouveau énumérées !) il ne s’oppose pas au moulin projeté mais... « il fait toutes les réserves au sujet des travaux de dessèchement dont il est aujourd’hui concessionnaire, pour le libre écoulement des eaux, et de tous les droits et ceux de ses associés comme fermier des étangs et de la rigole ».

Eh oui ! Le canal c’était aussi la rigole du Porge !


On peut dater la fin de l’histoire...

Un brouillon de lettre datée de juillet 1863 destinée au maire de Lège lui signale que M. Gignoux demande un sursis d’exécution de son projet jusqu’à la fin de 1866. L’administration ne veut pas être liée si longtemps : l’intéressé devra renouveler sa demande s’il le souhaite...



La lettre de Gignoux au préfet a été reçue le 12 octobre 1862. Elle est assez émouvante. Si nous avons cité entièrement la lettre pour la demande concernant « la forge de Lège », datée du 19 août 1846, (voir page 22 du n° 11 de Côte et Terre impressions),  autant citer cette dernière supplique qui marque en quelque sorte le terme de l’aventure industrielle...


Monsieur le Préfet,

Pour conserver à la Forge de Lège qui tombe en ruine, par l’effet du prolongement de son chômage occasionné par le traité de commerce avec l’Angleterre, traité qui a diminué d’une manière considérable les droits d’entrée sur les fers étrangers ; pour conserver je le répète à cette usine sa position industrielle, j’avais obtenu de vous, Monsieur, l’autorisation d’établir un moulin à farine à côté de ma forge par votre arrêté du 19 9bre 1859.

Il y a quelques mois que Mons. Le Maire de Lège m’a notifié de votre part, Monsieur le Préfet, que si le dit moulin n’était pas établi le premier Novembre prochain l’autorisation me serait retirée.

Il serait bien malheureux pour moi, Monsieur, après avoir englouti dans la forge de Lège, de laquelle ont seuls profité l’Etat, par les forts impôts, et les bras du pays par le travail qu’elle leur a procuré, le fruit de 25 années de travail, de me voir menacé si rigoureusement lorsqu’il n’y a nul péril en la demeure. (Au sens littéral cette expression traduit le « danger de l’immobilité » ou le « risque de ne rien faire ». La « demeure » n’est pas l’habitation mais le fait de garder la même position. Aujourd’hui, l’emploi de cette locution est souvent fait en dépit du bons sens !)

Je croyais pouvoir me procurer dix mille francs sur une propriété qui m’en a coûté cent mille environ, je me suis trompé, voilà pourquoi le moulin n’est pas encore établi. Cependant cet emprunt sera devenu praticable en 1866 époque à laquelle aura cessé la minorité de l’un de mes enfants.


Veuillez donc avoir la bonté de prolonger jusqu’au 31 8bre 1866 le délai de rigueur pour établir ce moulin ; d’ici là, j’aurais vendu la forge de Lège et alors on établirait la nouvelle usine, ou bien je me serais procuré des ressources d’une autre manière.

Pour ne donner prise à aucune réclamation j’ai fait enlever complètement le barrage qui existait sur le canal de dégorgement des étangs.

J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.

Gve Gignoux

Lège 10 octobre 1862


Il est vrai que de nombreux moulins « à eau » sont en fonctionnement  dans la région... Ceux de Gorry père (dune de Campagne), Gorry fils puîné (également sur le canal), Téchoueyres (à 2 000 mètres en amont de Gignoux). Au Porge, Fontau (vers Lauros), Pierre Sauts (à Lillet). C’est toujours le canal des étangs qui fournit la force motrice... Arès, en voisine, en présente également plusieurs, Templier, Lafond...

Lorsque, en 1864, J.B. Clerc amène ses nombreux invités à descendre en barques le canal depuis Lacanau jusqu’à Arès, pour l’inauguration de cette opération d’assainissement, il n’est plus question de forge à Lège.

Restent encore des questions (providence des chercheurs !). En 1862, Gignoux se prétend bien toujours propriétaire de la forge de Lège, or le Guide Joanne de 1860 cite des noms de successeurs : MM. Lousteau et Dussacq de Bordeaux. Peut-on penser que si Gignoux a conservé le « domaine », avec le terrain nécessaire pour le futur et hypothétique moulin, il ne serait plus le véritable responsable de l’exploitation industrielle ?

Encore la fonderie de Lège

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R E T O U R