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R E T O U R

Extrait Chapitre III "Les dunes ou Sylvia Maria" de J.-F.-XAVIER MOULS


Le résinier offre un type à part : l'homme des champs est le seul qui ait avec lui quelques traits de ressemblance. Il est, comme lui, naturellement calme, moral, religieux, ami de la paix et de la vie de famille. Les pins que le résinier exploite ne lui appartiennent pas ; il travaille pour le compte d'autrui ; il a ordinairement la moitié des produits résineux ; c'est une espèce de métayer. Seul avec sa famille, il passe sa vie entière au milieu des bois, dans une profonde solitude et un travail incessant ; il habite une pauvre chaumière, semblable à celle dont nous avons fait la description. Il ne paraît à la ville que le dimanche. L'exploitation des pins absorbe tous les autres jours de l'année, comme il est facile de s'en convaincre par les détails suivants : du 20 janvier au 10 février, on enlève l'écorce raboteuse de l'arbre, sur à peu près le quart de la circonférence, de manière, cependant, à ne point attaquer le vif, et à une hauteur d'environ 70 centimètres du sol. Cet enlèvement d'écorce ou écorçage a lieu pour exciter la sève par l'action de la chaleur. Quand le soleil commence à prendre de la force et à absorber l'humidité que son absence et son obliquité ont concentrée dans la futaie, ce qui arrive ordinairement du 25 mars au 1er mai, on commence à procéder à l'opération de l'incision avec une petite hache, dont le tranchant a la forme d'une gouge.

 

On enlève au ras de terre, dans la partie du tronc récemment écorcée, un copeau d'environ 12 centimètres de long sur 10 à 12 millimètres d'épaisseur, de sorte que le vif du tronc se trouve attaqué. A l'instant où le tranchant de la hache a fait voler le copeau, on peut voir, à la place nue, suinter, par petites bulles transparentes, une espèce de liqueur, de la même manière qu'une forte transpiration perce notre épiderme. Cette sécrétion coule le long du tronc ; elle est reçue dans une petite auge pratiquée à l'avance dans le sable, au pied de l'arbre, ou quelquefois creusée dans le charnu d'une de ses racines a découvert. Ce résidu se nomme gemme. Elle est enlevée tous les mois, ou du moins cinq fois dans la saison, placée dans des barriques et expédiée à la fabrique, pour y être distillée et manipulée.

L'opération de l'incision ou taille se renouvelle tous les huit jours environ et dure jusqu'au 15 octobre. L'état de l'atmosphère influe beaucoup sur la récolte de la résine : elle est plus abondante lorsque le sud a souillé constamment, que lorsque le nord a resserré les pores du bois. Un résinier suffît au gemmage de 3,000 pins taillés à vie.

 

Après la récolte de la gemme, vient celle du galipot. On appelle ainsi la résine qui, coulant du tronc pour se rendre dans l'auge, au pied de l'arbre, exposée à l'action du soleil, voit s'évaporer la portion la plus volatile de ses parties constitutives ; elle est épaissie, ne peut plus couler et demeure fixée au tronc, sous la forme d'une croûte, qui augmente à mesure qu'une autre larme est obligée de couler au-dessus pour se rendre dans le réservoir. Ce produit s'obtient au moyen d'une pelle recourbée, et on le récolte du 15 octobre au 15 janvier; — il a moins de valeur que la gemme. Ces deux produits des pins, connus sous la dénomination générale de résine, forment le revenu du gemmage. Ce revenu exige un travail fatigant et soutenu, surtout en été : les chaleurs activant l'écoulement des essences, ne laissent aucun repos au résinier. Armé d'une hache et d'un pitey, espèce d'échelle composée d'une longue perche entaillée, du matin au soir, il court de pin en pin, grimpe sur la tige de l'arbre, à l'aide du pitey, et fait les incisions voulues. Cependant, le soleil brûle le sable des dunes ; les cimes épaisses des pins maritimes concentrent la chaleur : le résinier se trouve alors plongé comme dans une étuve, il est ruisselant de sueur.

 

Sa nourriture n'est malheureusement que trop en harmonie avec cet excès de fatigue : du pain de seigle, une tranche de lard rance, dont le jus salé, versé dans un vase rempli d'eau bouillante et de pain, sert d'assaisonnement à la soupe, de sardines de Galice, de l'eau corrigée avec du vinaigre et rarement avec du vin, tel est le menu des trois repas qu'il fait tous les jours de l'année, à l'exception du dimanche.

Donc, le résinier est sobre et laborieux. Il a un teint hâve, brûlé ; sa taille est mince et déliée ; ses vêtements sont, comme ses goûts, de la dernière simplicité.

 

Sa famille entière reflète son image, elle s'assoit à la même table, partage la même nourriture et les mêmes fatigues. La femme et les enfants s'occupent du ménage et prêtent main-forte pour la récolte de la résine. Toutes les semaines, ils vont ramasser la résine molle, qui a coulé dans le réservoir établi au bas de la tige des pins. L'automne ramène chaque année les travaux les plus grands, c'est l'époque principale de la récolte. Au lever du soleil, toute la famille est sur pied dans la forêt, avec des serviettes de serge grossière et des pelles recourbées, pour l'extraction de la résine blanche ou galipot, adhérente à la blessure des pins ; ce galipot est déposé dans des moules pratiqués dans le sable, d'où on le retire pour le livrer au commerce, sous forme de grands pains de 50 à 60 kilos.

Ainsi, la solitude, le travail, la sobriété, telle est la vie des résiniers qui habitent les dunes du golfe de Gascogne ; vie pleine d'austérité s'il en fut. Ils paraissent les plus malheureux des hommes, et ils sont en réalité les plus heureux. Le nécessaire à la vie ne leur manque pas ; ils sont exempts des infirmités qu'entrainent les vices de la société ; leur éloignement du monde les met à l'abri des discordes, des haines, des jalousies et de la corruption du siècle. La santé, la paix, l'union, l'esprit de famille habitent la chaumière du résinier. 

LE RESINIER